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Littérature française - Page 125

  • Cette histoire

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    « J’admire ta patience de pèlerin rusé et je crois que je commence à bien t’aimer ! Pour une fois que j’ai l’occasion de parler de cette histoire… Elle a pourtant quelque chose d’une vieille putain réduite à l’hébétude par l’excès des hommes, cette histoire. Elle ressemble à un parchemin, dispersé de par le monde, essoré, rafistolé, désormais méconnaissable, dont le texte aura été ressassé jusqu’à l’infini – et tu es pourtant là, assis à mes côtés, espérant du neuf, de l’inédit. Cette histoire ne sied pas à ta quête de pureté, je te jure. Pour éclairer ton chemin, tu devrais chercher une femme, pas un mort. »

    Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête

  • Le frère de l'Arabe

    En lisant L’Etranger de Camus, on ne sait pas grand-chose de « l’Arabe » tué par Meursault. Le récit du dimanche fatal, au chapitre VI, multiplie les présages de violence (« le jour, déjà tout plein de soleil, m’a frappé comme une gifle ») avant même la première apparition près de l’arrêt d’autobus du « groupe d’Arabes » en querelle avec Raymond qu’il accompagne ce jour-là avec Marie à la plage : « Ils nous regardaient en silence, mais à leur manière, ni plus ni moins que si nous étions des pierres ou des arbres morts. » Camus a fait d’eux des figurants, non des personnages. 

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    J’ai donc ouvert Meursault, contre-enquête (2014) avec une grande curiosité pour la manière dont Kamel Daoud, né en 1970, journaliste à Oran (la ville de La Peste), répond à Camus, septante ans après. « Aujourd’hui, M’ma est encore vivante » : dès le début, l’auteur emprunte au roman source pour l’altérer – paraphrase, commentaire, métaphores –  et fait parler aussi son héros à la première personne : « Je te le dis d’emblée : le second mort, celui qui a été assassiné, est mon frère » (le premier, c’est Meursault, condamné à mort pour son crime).

    Le narrateur est un pilier de bar, comme Clamence dans La Chute. Il raconte à qui veut bien l’écouter ce qui le hante. Ce qui l’a choqué d’abord en lisant Camus, c’est l’absence de nom. « L’Arabe », son frère aîné, s’appelait Moussa. Comme leur père était gardien dans une fabrique, on les appelait « Ouled el-assasse, les fils du gardien. »

    Ce que Daoud écrit dans son roman, c’est leur histoire de famille, vue, vécue par le plus jeune fils qui se souvient, maintenant qu’il est vieux. Sa mère n’a cessé pendant des années de lui relater la dernière journée de Moussa, le fils préféré, avec mille et une variantes, « jusqu’à la rendre hallucinante et presque vivante ».

    Lui se souvient vaguement d’un frère souvent saoul, jouant du couteau, arborant ses tatouages, il voudrait reconstituer le véritable cours des événements, vu qu’il n’avait que sept ans quand Moussa est mort et qu’il n’y a pas eu d’enquête sérieuse après les faits.  Ils ont quitté Alger pour Hadjout (« ex-Marengo »), à 70 kilomètres de la capitale : « Nous avons mis, ma mère et moi, le plus de distance possible entre nous et le bruit des vagues. »

    C’est là qu’au début de l’Indépendance, ils se sont installés dans une maison de colons laissée à leur garde et que sa mère convoitait depuis longtemps. « Tu veux que je te divulgue mon secret – plutôt notre secret, à M’ma et moi ? Voilà, c’est là-bas, à Hadjout, qu’une nuit terrible, la lune m’a obligé à achever l’œuvre que ton héros avait entamée sous le soleil. A chacun l’excuse d’un astre et d’une mère. »

    Disparition du corps de Moussa, obligation de porter ses vêtements, recherche de la maison de l’assassin à Alger, visites à une tombe vide au cimetière – « J’eus donc une enfance de revenant. » Obsédé par la scène de la plage telle que l’a racontée Camus, le frère de l’Arabe s’enivre de vin et de mots, d’hypothèses, de questions autour des silences du récit. Et d’abord que faisait Moussa sur cette plage ?

    Lui-même ne s’est jamais senti « arabe » : « Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage, des habitudes. Point. Eux étaient « les étrangers », les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l’épreuve, mais dont les heures étaient de toute façon comptées : ils partiraient un jour ou l’autre, c’était certain. »

    S’il est de l’autre bord, par rapport au « Français », le narrateur ne se reconnaît pas pour autant dans les rites du vendredi, jour qu’il passe au balcon à regarder les gens, la rue et la mosquée. « La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J’aime aller vers ce Dieu, à pied s’il le faut, mais pas en voyage organisé. » Il a horreur des religions qui « faussent le poids du monde ».

    Le roman de Kamel Daoud, s’il explore les non-dits du roman de Camus, parle aussi de l’Algérie actuelle, d’un point de vue tout aussi critique, ce qui vaut à l’auteur toutes sortes d’accusations depuis la publication de Meursault, contre-enquête. Haroun, le petit frère, est devenu un vieil homme bavard – trop bavard ? Comme Clamence, l’avocat déchu, renvoie ses auditeurs à leur propre culpabilité – Daoud rend hommage à Camus, à La Chute en particulier, autant qu’il l’interroge –, le frère de l’Arabe expose ses problèmes de conscience pour mieux interroger les autres sur le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, sur les autres et sur le monde.

  • Inconnue

    Alet couverture.jpg« Sur le comptoir carrelé de l’ancienne boucherie-charcuterie, je trouve une pile de catalogues de l’expo. Je feuillette l’exemplaire de démonstration aux pages déjà cornées par les doigts distraits des visiteurs. Les portraits se succèdent, un par page, accompagnés de légendes plus ou moins obscures, Tunnel d’un lundi pluvieux, Marche haute sur talons plats, Soupir anisé. A la page 32, je tombe sur un portrait d’Elisabeth. Celui de la chambre de Papy Louis, du piano des parents. Celui que j’ai cherché sur le mur, tout à l’heure, pressentant sa présence mais ne le distinguant pas des autres portraits. Le regard sombre d’Elisabeth porte la légende Inconnue. »

     

    Mathilde Alet, Mon lapin

  • Premier roman

    Premier roman de Mathilde Alet, Franco-belge née à Toulouse en 1979, Mon lapin raconte les adieux de Gabrielle à son grand-père, Papy Louis, le jour de son enterrement. Malgré l’insistance de ses deux filles, il avait été « hors de question d’aller s’enterrer dans un mouroir bourré de vieux » et il avait pu se faire aider à domicile grâce à l’association « Vieillir chez soi ». 

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    Firmin Baes (1874-1943), Jeune fille pensive

    Quand elle allait le voir, Gabrielle logeait dans la chambre rose préparée par la femme de ménage, et sortait le promener dans sa chaise roulante, comme Marc les autres jours, un jeune homme qui lui faisait aussi la lecture. Dans leurs conversations ordinaires où les mêmes questions étaient reposées à chaque fois, surgissait régulièrement le nom de sa grand-mère, Elisabeth, dont Papy Louis parlait « comme si elle était morte l’année dernière ».

     

    Gabrielle – c’est elle qui raconte, à la première personne – a du mal à imaginer sa mère Olympe et sa tante Victoire en petites filles emmenées par Elisabeth au Jardin des Plantes, elle écoute son grand-père les évoquer, elle imagine, elle s’arrête – « On marche encore un peu, mon lapin ? »

     

    L’enterrement a déjà commencé quand elle arrive, en retard à cause du train, mais sa sœur Clara la rassure, « ça vient juste de commencer ». Son grand-père ne voulait pas de discours. « Moi j’ai envie d’émotions déclamées, de sanglots, de poèmes, de marches funèbres, de Beethoven, de Mozart, de youyous. Allez, mon lapin, arrête de dire des bêtises et écoute un peu. »

     

    De l’église au cimetière, du cimetière au restaurant, on fait plus ample connaissance avec la famille. La tante Victoire, « une artiste » qui enseigne dans une école d’art, expose des photographies, intrigue Gabrielle par ses apartés avec une inconnue qui ressemble fort à sa grand-mère, dont la mort à 47 ans reste un mystère – un suicide ? – sur lequel elle aimerait connaître la vérité. Et puis, il y a ses proches, si prévisibles : Olympe et Michel, ses parents, sa sœur aînée Clara, son éternelle complice et rivale en même temps.

     

    « Ma ville natale, c’est l’appartement de Papy Louis. » Marc, qui s’était attaché au vieux monsieur, l’a entendu raconter bien des choses sur ses petites-filles et en sait plus sur Gabrielle qu’elle à son propos. Ils font connaissance le jour de l’enterrement. Sera-ce lui, la surprise de cette journée ?

     

    Mon lapin, un récit d’une centaine de pages, se lit très facilement : de petites scènes ordinaires, des souvenirs, écrits avec naturel, rien de forcé, de théâtral, juste la vie et les gens, les émotions, les doutes, les questions qu’on se pose mais qu’on ne pose pas. Un enterrement, c’est comme un bilan de famille, pas gai, mais pas si triste qu’on l’avait craint. Un enterrement, c’est un retour sur soi.

  • Lumière du ciel

    « Au moment où la lune plonge dans les lames de plus en plus serrées, la certitude de la neige nous vient. Mais comme il est rare de pouvoir surprendre la chute du premier flocon ! Levez le visage, tendez les mains, fermez les yeux, les paupières sensibles révèleront peut-être un pétale de neige ! 

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    Photo Janvier 2013

    Il est aussi difficile de saisir ce premier flocon que de surprendre le moment où la surface d’un étang se couvre de glace… il y a un instant, l’espace était plein de l’odeur de la neige, mais il ne neigeait pas… la lune brassait la neige à pleins rayons, mais il ne neigeait pas. Notre visage interrogeait en vain l’air adouci, mais pas un duvet ne venait le caresser, et voici que soudain tout l’espace floconne, danse, fleurit, et que toute la lumière du ciel vient baiser la terre.

    La lumière du ciel ?...

    Solstice d’hiver, Noël, le véritable cycle de l’année recommence. Dans cette campagne endormie, dans cette descente continue de la neige, dans cette absence absolue de tout mouvement latéral, le ciel et la terre échangent des messages. Nos cœurs sont aussi comblés de symboles que cette nuit est comblée de blancheurs. Tenons-nous au centre de tout, comme si nous étions la rose des vents, immobile, au commencement du monde. »

     

    Marie Gevers, Décembre et la neige (Plaisir des météores)

     

     

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    Bonne fête de Noël
    à toutes & à tous !